Voici un échange avec quelqu’un sur le pardon qui reprend cette question éternelle : « Comment pardonner à un chauffard ? » Son email avec mes commentaires.
Interlocuteur : Par ailleurs je continue ma réflexion sur les émotions parfois violentes qui nous étreignent le long de notre chemin avec le cours. En relisant pour mon travail un texte de Luc Boltanski intitulé : l’amour et la justice comme compétences, je tombe sur cet énoncé « l’émotion surgit lors du basculement d’un régime à l’autre, celui de l’amour (agapé) à celui de la violence ou de la justice. » Je trouve que ça éclaire ce dont tu parles souvent dans tes interventions, comment le chauffard qui nous coupe la route nous expulse du domaine de l’amour…
Commentaire : (J’interromps le cours de ta pensée) En fait, ce n’est pas vraiment le chauffard qui nous expulse de l’Amour – il n’a pas ce pouvoir. C’est très important de garder ça en tête, sinon le processus de guérison du Cours ne fonctionnera pas. Ces passages du Cours nous aident à comprendre ce point sur la perception:
« La projection fait la perception. Le monde que tu vois, c’est ce que tu lui as donné et rien de plus. … C’est le témoin de ton état d’esprit, l’image extérieure d’une condition intérieure. … La perception est un résultat et non une cause. (T-21.in.1:1-12)
« La projection fait la perception… Tu as attaqué ton frère maintes et maintes fois, parce que tu voyais en lui une figure d’ombre dans ton monde privé. » (T-13.V.3)
« Pardonner, c’est simplement te rappeler les pensées aimantes que tu as données dans le passé et celles qui t’ont été données. Tout le reste doit être oublié. … Les figures d’ombre sont les témoins que tu amènes avec toi pour démontrer qu’il a fait ce qu’il n’a pas fait. « (T-17.III.1)
Cela veut dire qu’une partie de nous se sert du chauffard pour s’auto-expulser de l’Amour. C’est pour ça que nos attaques sur le chauffard sont injustifiées. Inconsciemment, nous avions décidé, ce jour-là, de rester en-dehors de l’étreinte de l’Amour. Nous avions besoin de trouver une justification pour l’inconfort intérieur provoqué par ce refus de l’Amour, et le chauffard nous a fourni un prétexte pour exprimer cet inconfort et le justifier. Du coup nous nous disons que c’est à cause de lui que l’Amour n’est pas présent.
Interlocuteur: …vers celui de la justice et que ce basculement s’accompagne d’une vive émotion de laquelle…
Commentaire : (Désolé, je t’interromps encore…) Une vive émotion qui était déjà présente en nous avant le passage du chauffard. Le basculement dont tu parles est juste la prise de conscience soudaine de ce qui était déjà dans notre esprit. Seulement, avant l’incident, nous arrivions à le dissimuler. Le fait de frôler un accident grave nous rappelle un autre fait grave dans l’esprit – le refus de l’Amour. L’accident potentiel est donc un symbole qui nous ramène à la conscience de la catastrophe présente dans notre esprit, c’est un symbole de ce qui semble s’être produit là en nous, l’exil de notre Foyer céleste.
Interlocuteur: …il n’est pas toujours facile de rebasculer vers le pardon et l’amour.
Commentaire: Ce n’est pas facile, non, mais pas à cause du chauffard (très important) mais parce qu’une partie de nous n’a pas encore déterminé qu’elle veut regagner la présence de l’Amour. « Nous ne sommes jamais contrariés pour la raison à laquelle nous pensons. » (leçon N° 5) Nous sommes toujours contrariés parce que nous avons repoussé la présence de l’Amour, puis nous cherchons à trouver une justification extérieure pour notre mal-être, pour éviter de faire face à notre choix intérieur. « La projection fait la perception. Le monde que tu vois … est le témoin de ton état d’esprit, l’image extérieure d’une condition intérieure. » (T-21.in.1)
Interlocuteur: C’est un peu comme si on se disait : certes il n’y a pas beaucoup d’amour mais on veut au moins un peu de justice bordel!!!!
Commentaire: La justice est là pour nous à chaque instant – la justice de l’Amour qui dit: « Je ne te quitterai jamais. » En fait, ce n’est pas la punition de cette personne que nous recherchons vraiment, car cela ne changerait pas grande chose pour nous. Mais retrouver le souvenir de l’Amour pour nous, et pour les autres, voilà ce qui fera une grande différence.
Interlocuteur: Je sais Bernard, je t’entends dire, la solution c’est le pardon, toujours, mais que d’émotions!!
Commentaire: Il faut que j’explique mieux ce qu’est le pardon car il y a toujours un peu de confusion à ce sujet. Ce n’est jamais à quelqu’un d’autre que nous pardonnons, mais à nous-même. Nous constatons d’abord notre jugement et notre envie d’attaquer une autre personne, oui. Mais ensuite, nous devons arrêter de vouloir justifier notre attaque, et nous devons chercher la véritable cause de notre réaction: pourquoi sommes-nous blessés par l’attitude du chauffard, et agressifs envers lui?
Nous trouvons la réponse quand nous constatons le manque d’amour en nous, et que nous comprenons que ce n’est pas l’autre qui nous a expulsés de la présence de l’Amour. C’est un choix que nous avons fait, puis dissimulé derrière les actes des autres, en projetant sur eux les sentiments négatifs qui résultent de ce choix.
Le pardon s’effectue à l’instant où nous acceptons de venir à nouveau tout près de l’Amour et de nous réfugier dans Son étreinte qui nous embrasse tous, nous et les autres. L’Amour ne juge jamais car Il sait que chacun est innocent du « crime » de la Séparation ; le reste n’est pas important.
Le pardon du Cours n’est donc pas quelque chose que nous faisons par rapport aux actes d’une autre personne. Leur acte nous ramène à une conscience de ce que nous avons fait pour écarter la présence d’amour. Le pardon consiste à lâcher prise de notre projection sur les autres et à changer de décision en choisissant l’Amour, pour nous et pour les autres.
Même si ça semble simple, c’est évident qu’il faudra du temps pour s’entraîner à cette nouvelle perception. « Voilà la vérité, d’abord seulement à dire puis à répéter maintes fois ; ensuite à accepter comme partiellement vraie, avec de grandes réserves. Puis à considérer de plus en plus sérieusement pour enfin l’accepter comme la vérité. » (W-pII.284.1) Et : « C’est leur utilisation [des idées et des leçons] qui leur donnera une signification pour toi et te montrera qu’elles sont vraies. » (Introduction du Livre d’exercices)